Le coût de la filière nucléaire

Un an après les tristes événements de Fukushima, de nombreuses personnes s’inquiètent de la sécurité de nos centrales nucléaires. Alors, la filière nucléaire a-t-elle un avenir sur notre territoire?Les prévisions chiffrées sont souvent approximatives, à ce sujet. Chaque camp les manipule en fonction de l’argumentation qu’il développe. Un récent rapport de la cour des comptes daté du 31 janvier 2012 (ci-après) fait un point que j’ai trouvé approprié pour que chacun puisse se faire une opinion.

Sur un sujet aussi capital pour notre indépendance énergétique, pour l’emploi, pour notre compétitivité économique, pour la lutte contre le réchauffement climatique comme pour notre sécurité et celle de nos enfants, toutes les opinions méritent d’être entendues et discutées.

C’est la raison pour laquelle votre avis et votre argumentation m’intéressent.

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Les coûts de la filière électronucléaire

Le rapport de la Cour rassemble toutes les données factuelles disponibles actuellement sur les éléments qui constituent les coûts, passés, présents et futurs, de la production d’électricité nucléaire en France, sans prise de position ni sur le niveau souhaitable de cette production, ni sur les modalités de son financement.

A – Des dépenses passées relativement bien identifiées

1 – Un investissement initial lourd

Le montant total de construction des installations nécessaires à la production d’électricité nucléaire s’est élevé à 121 Md!2010(hors construction de Superphénix).

La construction des 58 réacteurs actuels, qui représentent une puissance installée de 62 510 mégawatts (MW), a coûté 96 Md!2010. Il faut ajouter à cet investissement initial, pour 6 Md!, le coût de construction de la première génération. En outre, les investissements nécessaires au cycle du combustible, en particulier la mise en place de la filière de retraitement qu’exploite aujourd’hui AREVA, représente un coût pour la France de 19 Md!2010.

2 – Un coût de construction au mégawatt qui progresse dans le temps

Le coût de construction initial, ramené à la puissance des réacteurs, progresse dans le temps, de 1,07 M!2010/MW en 1978 (Fessenheim) à 2,06 M!2010/MW en 2000 (Chooz 1 et 2). Avec un coût de construction estimé à 6 Md! pour l’EPR de Flamanville (tête de série) et une puissance de 1 630 MW, le coût au MW est de 3,7 M!.

3 – Des dépenses de recherche importantes

En tenant compte également des dépenses de recherche, publiques et privées, qui représentent 55 Md!2010 (1 milliard d’euro par an en moyenne), et du coût de Superphénix (12 Md! pour l’investissement, le fonctionnement et l’arrêt), le montant total des investissements passés ressort à 188 Md!2010.

B – Des charges courantes d’exploitation bien cernées

Ces charges d’exploitation annuelles d’EDF se sont élevées à 8,9 Md!2010 pour une production de 407,9 terawatt-heure (TWh) en 2010. Ces charges sont bien identifiées et leur chiffrage ne pose pas de problème majeur.

Parallèlement, les dépenses sur crédits publics se sont élevées à 414 millions pour l’effort de recherche et à 230 M! pour les coûts relatifs à la sûreté, la sécurité et l’information des citoyens, soit un total de 640 M! en 2010.

C – Des charges futures incertaines par nature

Le total de ces charges à fin 2010 est estimé à 79,4 Md!2010, dont 62 Md!2010 pour EDF.

Parmi ces coûts, les dépenses de démantèlement, c’est-à-dire les dépenses de « démolition » des centrales, sont estimées aujourd’hui à 18,4 Md!2010, en charges brutes, pour le démantèlement des 58 réacteurs du parc actuel. La Cour considère que les méthodes utilisées par EDF pour ce calcul sont pertinentes mais ne peut pas en valider les paramètres techniques, en l’absence d’études approfondies par des experts.

Un autre coût futur important est la gestion à long terme des déchets, pour un coût estimé à 28,4 Md!2010. Cette estimation est fragile car le projet envisagé pour le stockage des déchets à vie longue, c’est-à-dire leur enfouissement en grande profondeur, n’est pas encore définitif.

La Cour conclut de ses investigations que les coûts futurs sont bien tous identifiés par les exploitants, mais ne sont pas évalués avec le même degré de précision. Même si de nombreuses incertitudes pèsent, par nature, sur ces estimations, la Cour estime que les risques d’augmentation de ces charges futures sont probables.

D – Des investissements de maintenance qui vont augmenter

Le programme d’investissements de maintenance d’EDF, pour les années 2011 – 2025, préparé en 2010, s’élevait à 50 Md!, soit une moyenne annuelle d’environ 3,3 Md!, ce qui correspond presque au double des investissements réalisés en 2010 (1,7 Md!). Les investissements à réaliser pour satisfaire aux demandes de l’ASN sont aujourd’hui estimés à une dizaine de milliards d’euros, dont la moitié serait déjà prévue dans le programme initial de 50 Md!.

E – Un coût de production global qui va augmenter

La production d’électricité nucléaire est une industrie très capitalistique à cycle long pour laquelle le coût du capital est une variable qui a un impact très significatif sur le calcul du coût global.

En prenant en compte la rémunération du capital, selon la méthode dite du coût courant économique, qui reflète l’ensemble des coûts sur toute la durée de fonctionnement du parc et permet des comparaisons entre modes d’énergie, le coût moyen du MWh produit s’élève à 49,5 ! avec les données de 2010.

La Cour montre que si l’impact de l’évolution des charges futures liées au démantèlement et à la gestion des déchets est limité, à l’inverse l’évolution des investissements de maintenance est nettement plus sensible, de l’ordre de 10% du coût moyen.

F – Le choix stratégique de la durée de vie des centrales

Davantage que les paramètres de démantèlement ou de stockage ultime, l’analyse de la Cour montre que la durée de fonctionnement des centrales du parc actuel constitue une donnée majeure de la politique énergétique. Elle a un impact significatif sur le coût de la filière en permettant d’amortir les investissements sur un plus grand nombre d’années. D’autre part, elle repousse dans le temps les dépenses de démantèlement et le besoin d’investissement dans de nouvelles installations de production.

Or, la Cour constate que d’ici la fin de l’année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur quarantième année de fonctionnement. Par conséquent, dans l’hypothèse d’une durée de vie de 40 ans et d’un maintien de la production électronucléaire à son niveau actuel, il faudrait un effort très considérable d’investissement équivalent à la construction de 11 EPR d’ici la fin de 2022. La mise en œuvre d’un tel programme d’investissement à court terme paraît très peu probable, voire impossible, y compris pour des considérations industrielles.

Cela signifie qu’à travers l’absence de décision d’investissement, une décision implicite a été prise qui engage déjà la France : soit à faire durer ses centrales au-delà de 40 ans, soit à faire évoluer significativement et rapidement le mix énergétique vers d’autres sources d’énergie, ce qui suppose des investissements complémentaires.

Quels que soient les choix retenus, afin de maintenir la production actuelle, des investissements importants sont à prévoir à court et moyen terme représentant a minima un doublement du rythme actuel d’investissement de maintenance. Ce doublement fera augmenter le coût moyen de production de l’ordre de 10 %.

La Cour juge souhaitable que les choix d’investissements futurs ne soient pas effectués de façon implicite mais qu’une stratégie énergétique soit formulée, débattue et adoptée en toute transparence et de manière explicite.

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